Homme d’Etat, juriste, diplomate et juge international, José Gustavo Guerrero a été l’une des personnalités les plus remarquables que l’Amérique latine a produites ces derniers temps.

Sa mort, survenue le 25 octobre 1958, à Nice (France), est une perte douloureuse pour l’organisation internationale et laisse un grand vide en Amérique centrale, d’où il était originaire.

José Gustavo Guerrero était né à San Salvador (El Salvador, Amérique centrale) le 26 juin 1876. En 1898 il est docteur en droit des universités du Salvador et du Guatemala; il entre par la suite dans la carrière diplomatique, de laquelle il devait atteindre bientôt les plus hauts sommets. Dans toutes les positions officielles qu’il a occupées comme représentant de son pays il s’est distingué par une habileté exceptionnelle à décider des situations politiques compliquées et par une discrétion et un sens des responsabilités exemplaires.

Son autorité était considérable dans les centres diplomatiques de Madrid, de Rome et de Paris, où il remplit les hautes fonctions de ministre plénipotentiaire : tout le monde voyait en lui non seulement le représentant de son pays mais surtout le porte-parole de toute l’Amérique latine.

Comme ministre des Affaires étrangères du Salvador il a réalisé une œuvre constructive qui sera toujours rappelée avec gratitude par ses compatriotes: son rêve était l’union des cinq petites républiques de l’Amérique centrale pour faire de celles-ci une grande nation dont la voix aurait droit à être écoutée et respectée dans les grandes conférences régionales et mondiales. Ce rêve de Guerrero est encore aujourd’hui la meilleure aspiration de tous les hommes éclairés de l’Amérique centrale.

Les assemblées internationales étaient le champ préféré des activités de Guerrero. C’est là qu’il pouvait déployer son intelligence à manier les hommes et à présenter les problèmes internationaux sous un jour d’une extrême simplicité. Dans l’histoire du Panaméricanisme le nom de Guerrero sera toujours celui du champion autorisé et courageux du principe de la non-intervention dont il fit une défense très intelligente à la VIe Conférence panaméricaine (La Havane, 1928). A cette mémorable assemblée continentale, qui compte parmi les plus importantes de toutes les conférences internationales qui se sont tenues en Amérique, Guerrero se fit le leader indiscutable d’un des principes juridiques et politiques les plus chers aux nations américaines: la non-intervention d’un Etat dans les affaires intérieures et extérieures d’un autre Etat. A ce moment crucial de l’histoire américaine Guerrero devint en quelque sorte la conscience juridique du Nouveau Monde.

Guerrero joua aussi un rôle très important à l’Assemblée de la Société des Nations de Genève dont il fut l’un des membres les plus influents. Il fut Président de la dixième Assemblée en 1929. Il fut membre de la Commission pour la codification du droit international créée par l’Assemblée de la S. d. N. : en cette qualité il élabora un rapport d’une grande tenue scientifique sur le problème de la responsabilité des Etats, dans lequel il exposa les thèses du droit international américain sur ce grave problème. Il fut également rapporteur de la question de la nationalité à la Conférence pour la codification du droit international convoquée par la Société des Nations à La Haye en 1930.

Guerrero fut également membre de la Cour permanente de Justice internationale de 1931 à 1946, élu par l’Assemblée et le Conseil de la Société des Nations. En sa qualité de Président en exercice de la Cour permanente pendant la guerre de 1939-1945, il a été la personnification de la justice internationale à ce moment si difficile de l’histoire contemporaine. Guerrero fut élu en 1946 juge à la Cour internationale de Justice, créée dans le cadre des Nations Unies, pour une période de neuf ans expirant en 1955. Il fut réélu en 1954 pour une nouvelle période de neuf ans qui devait s’étendre jusqu’en 1964. Il fut de 1946 à 1949 Président et de 1949 à 1955 Vice-Président de la Cour internationale de Justice. Il a été surpris par la mort alors qu’il était le doyen aimé et respecté du plus haut tribunal du monde.

Guerrero fut élu Membre honoraire de notre Institut en 1947. Il proposa, après que furent élus le 6 décembre 1951 trois nouveaux juges à la Cour internationale de Justice, que l’Institut abordât la question de la composition de la Cour et de ses garanties statutaires. La communication qu’il présenta sur cette question à la session de Sienne (1952) eut comme résultat l’acceptation d’une Résolution dont le but était d’assurer, par des mesures d’ordre administratif, la composition adéquate de la Cour. Par la même Résolution, une commission nouvelle fut prévue qui, sous la présidence de Max Huber, devait traiter de l’ensemble du problème de la composition de la Cour, y compris la révision de son Statut. A cette commission, qui a présenté son rapport à la session d’Aix-en-Provence (1954), Guerrero a collaboré activement. Plus tard il participa avec dévouement aux travaux de la Commission sur la règle de l’épuisement des recours internes et à celle sur la compétence obligatoire des instances judiciaires et arbitrales internationales. (voir aussi la résolution adoptée en 1959 sur le même sujet).

Il était également membre et Vice-Président de l’Académie diplomatique internationale, et membre fondateur de l’Institut hispano-luso-américain de droit international! Il était l’auteur de plusieurs ouvrages remarquables dans lesquels il a exposé avec une belle érudition et dans un style vigoureux des thèses juridiques et politiques de. grande importance. Citons, parmi ses travaux scientifiques, les suivants :

La responsabilidad internacional del Estado (1926),

La codification du Droit international (1930),

La Septième Conférence panaméricaine (1934) et l’Ordre international (1945).

José Gustavo Guerrero était un de ces hommes représentatifs d’un peuple et de tout un continent qui, par leurs activités intellectuelles et par le sens humain qui se dégage de leur personnalité, seront toujours un symbole et un exemple pour les générations à venir.

Jesús María Yepes  – Annuaire de l’Institut de Droit international, Session de Neuchâtel, vol 48-II, 1959, pp. 463 – 466

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