Déclaration de l’Institut de Droit international sur l’agression en Ukraine
L’Institut de Droit international a adopté une Déclaration concernant la situation en Ukraine. La Déclaration lit comme suit:
1 mars 2022
DÉCLARATION DE L’INSTITUT DE DROIT INTERNATIONAL SUR L’AGRESSION EN UKRAINE
Les membres de l’Institut de Droit international suivent avec consternation le déroulement des opérations militaires russes en Ukraine.
Selon ses Statuts, l’Institut a vocation à contribuer, « dans les limites de sa compétence, soit au maintien de la paix, soit à l’observation des lois de la guerre ». S’inscrivant dans la tradition qui lui a valu le prix Nobel de la Paix en 1904, il considère qu’il est de son devoir de dénoncer fermement l’agression dont est responsable la Fédération de Russie par son intervention militaire massive en Ukraine.
L’Institut de Droit international souligne que cette action :
(1) est contraire aux principes les plus fondamentaux du droit international, maintes fois réaffirmés et précisés dans les résolutions qu’il a adoptées dans le passé, qu’il s’agisse
(a) de l’interdiction du recours à la force armée dans les relations internationales, et de l’intégrité territoriale des États, l’un et l’autre proclamés par l’article 2, paragraphe 4, de la Charte des Nations Unies (ci-après la Charte) (résolutions relatives aux Problèmes actuels du recours à la force en droit international, en particulier celle sur L’autorisation du recours à la force par les Nations Unies de 2011 adoptée lors de la session de Rhodes et la Déclaration de Bruges sur le recours à la force de 2003),
(b) de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes fondement des relations amicales entre les nations conformément à l’article 1er, paragraphe 2, de la Charte (résolutions relatives aux Problèmes actuels du recours à la force en droit international, en particulier celle sur L’assistance militaire sollicitée de 2011 adoptée lors de la session de Rhodes) ou
(c) de la non-intervention dans les affaires des autres États que prohibe le paragraphe 7 de l’article 2 de la Charte (résolution portant sur La protection des droits de l’homme et le principe de non-intervention dans les affaires intérieures des États de 1989 adoptée lors de la session de Saint-Jacques-de-Compostelle) ;
(2) ne saurait trouver aucune justification juridique, ni dans le principe du droit naturel de légitime défense prévue à l’article 51 de la Charte en l’absence d’une agression armée de la part de l’Ukraine, ni dans une résolution du Conseil de sécurité adoptée en vertu du chapitre VII de la Charte ;
(3) est incompatible avec les engagements spécifiques pris par la Russie à l’égard de l’Ukraine (Mémorandum de Budapest de 1994 relatif aux garanties de sécurité dans le cadre de l’adhésion de l’Ukraine au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et « Accords de Minsk » de 2014 et 2015, unanimement approuvés par le Conseil de Sécurité par sa Résolution S/RES/2202) et ne peut être justifiée à titre de « contre-mesures » licites, qui ne doivent en aucune circonstance violer elles-mêmes des normes impératives du droit international général (jus cogens).
Aucun argument de nature politique, y compris des arguments de sécurité, ne peut servir de justification au non-respect des règles de base du système juridique que la communauté internationale a forgées au prix de tant de sacrifices par le passé. Le multilatéralisme, et non le recours à l’action unilatérale, doit guider la conduite des États en vue du maintien de la paix et de la sécurité internationales.
L’Institut constate que la responsabilité internationale de la Fédération de Russie est engagée pour la violation grave d’obligations découlant de normes impératives du droit international et qu’à ce titre, la Russie s’expose à des mesures appropriées conformément au droit international et sans préjudice du droit de légitime défense de l’Ukraine.
L’Institut rappelle que les opérations militaires en cours appellent ipso facto l’application de l’ensemble du droit international humanitaire, y compris les règles relatives à l’occupation, ainsi que toutes les autres règles applicables en temps de conflit armé. Il rappelle également que les personnes responsables de crimes internationaux définis par le droit international sont susceptibles d’être poursuivies et condamnées conformément au droit en vigueur.
Fidèle à sa mission, l’Institut demeure convaincu que, si le droit international ne peut à lui seul empêcher le déferlement de la violence, il doit demeurer la boussole par laquelle les États doivent être guidés, et il est plus que jamais décidé à approfondir son œuvre en vue de favoriser « le progrès du droit international ». Il joint sa voix à celles de toutes les composantes de la communauté internationale, y compris celles des sociétés savantes qui agissent en défense de l’état de droit, qui appellent à la cessation de la guerre en Ukraine et au règlement de bonne foi des différends existant entre les États concernés par tous les moyens de règlement pacifique appropriés.
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